6h de Spa-Francorchamps : spectacle et polémiques

Une invitation de Peugeot Sport à venir passer les 6 heures de Spa-Francorchamps avec eux ne se refuse pas. L’occasion d’analyser les progrès de la 9X8 en FIA WEC, anticiper ce à quoi s’attendre au Mans et surtout, parler de ce dont il est interdit de parler…

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BoP. Paraît que tous les concurrents sont interdits d’en parler… En général, quand on fixe cette règle là d’entrée, c’est qu’on anticipe en sachant pertinemment que ça va foirer. Parce qu’on n’a jamais sorti ce genre de règle chez les inventeurs du concept, ceux du camp d’en face mais néanmoins sauveurs de la catégorie GT en WEC, SRO. Chez Culdesac, on fait plutôt partie des révolutionnaires donc justement, on va en parler. Parce qu’on adore crever l’abcès, remuer la vase, crier “Voldemort” avec un regard de défi à travers des petites lunettes rondes.

Après de longues discussions, volte-face et retournements de situation, le FIA WEC et l’ACO ont fini par accoucher d’un petit prodige : un nouveau règlement qui a ramené le championnat et son épreuve phare les 24 heures du Mans au centre de l’attention du monde et de l’intérêt des marques. Tous les 3 mois, un nouvel arrivant s’annonce ou du moins annonce son envie d’arriver. Le résultat est là et est magnifique : une grille pleine à craquer d’engagements officiels, de protos rutilants prêts à se battre dans le nouvel âge d’or de l’Endurance sous les yeux des fans revenus en très très grand nombre. Et ça, soyons honnête, c’est en très grande majorité grâce à cette sacro-sainte BoP (pour Balance of Performance) et aux fenêtres de performance moteur et aéro autorisées pour la conception des voitures. Tous ceux qui s’engagent savent que les performances des voitures seront équilibrées, peu importe les budgets investis. Des budgets qui sont bien inférieurs au LMP1. Un autre grand point est le règlement LMDh qui permet d’acheter un châssis chez un des 4 fabricants autorisés et un système hybride standard, pour pouvoir sortir un proto – en théorie – à moindre frais (Porsche, Cadillac, Alpine, BMW). Ceux qui le veulent peuvent aussi tout concevoir eux-mêmes avec le règlement LMH (Ferrari, Toyota, Peugeot, Aston Martin). 

Le problème avec un nouveau jouet, c’est qu’il ne faut pas le casser. 2024, bagarre à 3 pour la gagne toute la saison, Toyota, Porsche, et Ferrari. 2025, bagarre à 3 pour la gagne tout le début de saison, Ferrari #51, Ferrari #50 et Ferrari #83. Il y a comme un hic nan ? Si les acteurs du championnat ne peuvent pas en parler – mais n’en pensent pas moins, derrière ça ne parle que de ça. Les fans de Porsche crient au scandale de voir les 963 en fin de peloton en pleurant à chaudes larmes. Les fans de Toyota aussi, même si les GR010 finissent toujours aux alentours de la 5ème place. Les fans de Ferrari crient que l’an dernier on avantageait Porsche et que cette année Toy’ et Porsche cachent juste leur jeu pour avoir une bonne BoP au Mans. Les passionnés de longue date crient à la manipulation, accusent la BoP de tous les maux et assurent que c’était mieux avant. Les Endurix (invention personnelle dérivée des Formulix, pseudo-fans de F1 grâce à Netflix) n’y comprenant rien, pour eux heureusement ça ne change rien.

Avant d’aller plus loin, un peu d’explications…

La BoP 2025, mode d'emploi

Deux grands principes régissent l’équilibrage entre les voitures en FIA WEC (et aussi en IMSA), les fenêtres de performance et la BoP. 

Les fenêtres de performance sont des valeurs minimales et maximales entre lesquelles doivent se trouver les voitures dans des domaines comme la masse minimum, la puissance et la manière de la délivrer avec le moteur thermique et le moteur électrique, la performance aérodynamique au niveau appui et trainée générés, etc. Chaque voiture est contrôlée lors du processus d’homologation (pour une nouvelle voiture ou pour une évolution), via des tests en soufflerie, un scan 3D de la carrosserie, des tests de puissance et des mesures en direct via un capteur de couple monté sur les arbres de transmission de chacune d’elles. Tout ça pour vérifier qu’elles sont bien dans ces fenêtres.

La BoP est un équilibrage réalisé ensuite pour compenser toutes les différences entre les voitures et tenter de les mettre sur un pied d’égalité. Elle est déterminée en fonction des paramètres suivants : 

  • L’équivalence entre les plateformes
    Pour tenter de satisfaire tout le monde, l’organisateur a sorti deux règlements distincts qui cohabitent, comme mentionné ci-dessus. La principale différence est que les LMH sont des 4 roues motrices temporaires, le moteur électrique fait en interne étant monté sur le train avant et pouvant se déclencher au-dessus de 190km/h (sauf pour l’Aston Martin qui n’en possède pas), alors que les LMDh ont tout sur le train arrière avec un moteur électrique commun pour tous. Ils faut donc compenser ces différences majeures.
  • Les caractéristiques de la voiture
    Les performances des voitures sont équilibrées en fonction des données relevées en soufflerie, du centre de gravité, des datas relevés en piste lors de chaque course via les temps au tour, des mesures de couple du couplemètre, de la consommation, etc.
  • Par constructeur
    Comme il y a parfois de grosses différences entre voitures d’un même constructeur, seules les meilleures de chacun sont prises en compte.

La BoP est ensuite définie et va jouer sur le poids minimum qui doit être réparti d’une certaine manière, la puissance maximum sous 250km/h, le gain de puissance au-dessus de 250km/h (pour niveler la vmax) et la quantité d’énergie allouée par relais. 

L’an dernier, une fenêtre de performance idéale était fixée entre -0,2% et +0,2% d’un chrono moyen, et chaque modèle était équilibré pour être dedans via des algorithmes complexes reprenant tous les paramètres cités ci-dessus. Ils se basaient pour cela sur les 20% des meilleurs tours en course, d’abord de la dernière course uniquement, puis des 3 dernières courses ensuite.

Malgré une saison très disputée et un équilibre relativement bon en fin de saison, une évolution a été apportée en 2025 en concertation avec les constructeurs. L’objectif étant d’équilibrer le potentiel des voitures en prenant également en compte la dégradation des pneus et des autres paramètres de performance secondaires. Au lieu des 20% des meilleurs temps, c’est maintenant une combinaison des 10 meilleurs tours et d’une moyenne de 60% des meilleurs tours, sur les 2 meilleures des 3 dernières courses. Notamment car les LMDh pures propulsions ne dégradent pas de la même manière que les LMH 4 roues motrices temporaires. Et l’objectif n’est plus la fenêtre de 0,4% mais que les voitures puissent toutes réaliser le même temps au tour théorique avec une dégradation similaire.

Il faut également ajouter que lorsqu’un modèle reçoit une évolution, une sorte de malus dégressif lui est appliqué durant les 3 courses suivant l’évolution, le temps de récolter assez de datas pertinents. 

Pour le Mans par contre, vu les différences entre les tracés traditionnels et celui de la Sarthe, la BoP est unique et hors processus. Le système adopté n’est pas clair mais ne se base pas sur les données des autres courses du WEC.

Du coup, qu'est-ce qui coince ?

On espérait un processus amélioré qui rendrait la compétition encore plus serrée et équilibrée. D’autant que tout le monde commence à bien prendre ses marques avec ses voitures. Sauf que ce n’est pas du tout le cas car on assiste à une domination sans partage des Ferrari 499P. Qatar, pole en qualifs puis triplé en course. Imola, deux premières places en qualifs puis victoire en course. Spa-Francorchamps, triplé en qualifs puis doublé en course. 

Les dernières polémiques F1 tournent depuis un moment autour des ailerons flexibles, pour améliorer l’appui à basse vitesse et réduire la traînée à haute vitesse. Est-ce que des petits malins pourraient utiliser la même astuce pour rentrer dans la fenêtre aéro exigée tout en trouvant un gain dans certaines zones d’un circuit ?

Pendant ce temps, Toyota, champion constructeur 2024, est reléguée à 1,8 seconde de la pole et atteint difficilement le top 5 en réalisant des courses irréprochables. Quant aux champions pilotes 2024 de la Porsche #6, ils n’ont pour meilleur résultat qu’une 8ème place à Imola. Par contre, Porsche cache tellement bien son jeu que la 963 vient d’enchaîner 4 victoires en 4 courses en IMSA, dont les 24 heures de Daytona ! Est-ce que cette baisse de forme s’explique par le malus lié à la suspension évoluée reçue en 2025 ? Réponse au Mans, 4ème course de la saison…

Ce qui coince, c’est impossible à savoir de notre point de vue. Est-ce que c’est manipulé ? Est-ce que certains cachent leur jeu pour avoir une bonne BoP aux 24 heures ? Est-ce que les rouges ont trouvé une faille dans le processus ? Est-ce que les champions d’une année sont punis l’année suivante ? Est-ce que les algorithmes de la BoP ne sont pas au point ? Ce n’est clairement pas simple pour le FIA WEC et l’ACO. Sauf que pour éviter à leur nouveau règlement de perdre d’entrée toute crédibilité, de voir repartir aussi vite qu’ils sont venus les constructeurs excédés par la situation et perdre l’intérêt de leurs vrais fans, espérons que ça change assez vite…

Un résultat décevant mais un rythme prometteur pour Peugeot

Elle a beau s’appeler comme la version sans aileron, la nouvelle 9X8 n’a plus rien à voir. Nous vous parlions de l’ajout d’un aileron et des dimensions de pneus comme les autres dans l’article de l’an dernier. Concrètement, ce ne sont pas de petites améliorations mais une voiture entièrement nouvelle, avec des composants qui n’ont pas été initialement conçus pour cette version. Tous les datas et enseignements d’avant 2024 sont presqu’à jeter, on peut donc considérer que Peugeot est reparti de zéro. Sachant cela et que tous les nouveaux arrivants ont un peu galéré la première année d’exploitation de leur voiture, 2025 est l’année de la confirmation pour les Français.

Contrairement à ce qui était attendu après les qualifications et le triplé Ferrari, la course a été incroyablement serrée et superbe à suivre. Des bagarres à la limite, du slalom dans le trafic, des coups stratégiques, et de nombreux constructeurs en lice pour la gagne malgré la domination italienne. La 9X8 en faisait partie. Après avoir mis deux voitures en Hyperpole puis signé une magnifique “pole position” en “Hypercar 2” (humour, c’était donc la 4ème place) grâce à notre Stoffel Vandoorne national, Peugeot a tenu le rythme en course.

La première moitié de course s’est très bien déroulée pour les deux lionnes. Le rythme était constant tout au long du relais et elles tenaient tête à leurs concurrentes dans les bagarres du Top 5. Quelques beaux coups stratégiques ont aussi été réalisés. Malheureusement, la suite s’est moins bien passée. La #93 n’a pas profité du Safety Car provoqué par une sortie de la Mclaren aux Combes pour s’arrêter. Lorsqu’elle a fait finalement son arrêt, elle est repartie 16ème. Pire, la #94 toujours bien placée s’est accrochée avec une BMW dans le trafic, un petit contact aux grandes conséquences puisqu’elle a dû être rentrée dans son box suite à une casse de suspension. 

En résulte une 11ème place pour la #93 et un abandon pour la #94, mais le résultat brut décevant ne peut cacher la bonne compétitivité de la 9X8 à Spa-Francorchamps. Cette belle forme peut s’expliquer par les essais préparatoires réalisés sur ce circuit, à une BoP favorable et au resurfaçage d’une partie du circuit. Le prototype français souffre lorsqu’il y a trop de bosses car une bonne partie de son appui aérodynamique est généré avec son fond plat (rappelez-vous, elle a été initialement conçue sans aileron) : les bosses obligent les ingénieurs à relever la voiture, ce qui empêche aux sous-bassements de fonctionner correctement. 

Avec ses longues lignes droites, l‘épreuve belge est généralement représentative pour évaluer le potentiel d’une voiture sur le circuit des 24 heures du Mans. De quoi espérer une belle forme dans la Sarthe et un résultat enfin à la hauteur de ses illustres ainées, la 905 et la 908 !

Audran Lernoux

Hyperactif multifonction intéressé par trop de choses. Surtout si elles ont des roues, des carres ou des pattes.