Une brique dans le centre*

*Commercial

Il y a des idées qui se passent d’explication. Construire un circuit de Formule 1 de 800 mètres de long, entièrement en briques LEGO, dans les allées d’un centre commercial, en fait partie. LEGO l’a fait cette semaine à Wijnegem, en périphérie d’Anvers, avec une installation hors normes : 200.000 briques mobilisées pour donner vie au plus long circuit LEGO de F1 jamais assemblé.

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L’idée pourrait sembler farfelue, mais elle révèle une vérité sur notre époque : quand la réalité devient inaccessible, le plastique prend le relais. Pendant que les vrais circuits de F1 se barricadent derrière des prix prohibitifs et des protocoles sécuritaires, LEGO démocratise l’expérience. Résultat : un dimanche après-midi, entre deux emplettes, on peut désormais se prendre pour Adrian Newey.

Le tracé, loin d’être une simple ligne droite, a été conçu comme un véritable défi technique. Il débute par une descente spectaculaire, reliant l’étage supérieur du centre commercial au rez-de-chaussée – une prouesse d’ingénierie qui ferait pâlir Herman Tilke. S’enchaînent ensuite des portions sinueuses, redoutables pour les petites monoplaces, avant de déboucher sur de longues lignes droites ponctuées d’épingles à cheveux. Un cauchemar pour le set-up, même en plastique.

L’ironie n’échappe à personne : là où les vrais circuits modernes de F1 sont critiqués pour leur manque d’âme et leurs zones DRS interminables, cette version LEGO ose l’audace architecturale. Dénivelés, courbes aveugles, changements de rythme : tout ce qui a disparu des tracés actuels au nom de la sécurité et du spectacle télévisuel.

Le résultat est aussi spectaculaire qu’absurde : un circuit de F1 grandeur LEGO, déployé entre escalators, vitrines et food court. L’ensemble est visible jusqu’au 14 juillet, et les visiteurs peuvent toujours venir ajouter leur contribution. On y trouve des modules de piste, des tribunes, des paddocks, des chicanes et des véhicules en tout genre. Chacun peut créer son propre bolide et tenter de le faire figurer sur le tracé.

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L’ambiance est surprenante : des familles entières s’affairent autour du circuit, parents et enfants unis dans une passion commune pour l’assemblage minutieux. Les discussions techniques fusent – rapport de réduction, aérodynamisme, choix des pneumatiques – avec un sérieux qui rivalise avec celui des ingénieurs de Maranello. Sauf qu’ici, l’erreur ne coûte que quelques briques à réassembler.

Nous ne nous sommes pas privés. Nous avons profité de notre passage pour construire notre propre F1, compacte et profilée, accompagnée de son camion de transport, plus massif, avec cabine inclinée et support arrière. Quelques concessions ont dû être faites côté design – la disponibilité des briques dépendait de notre rapidité d’exécution – mais l’essentiel était là : une écurie miniature, prête à rejoindre la grille.

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La construction révèle rapidement ses défis : comment reproduire l’aileron avant complexe d’une monoplace moderne avec des briques rectangulaires ? Comment simuler les pontons sculptés des F1 actuelles ? Le compromis devient un art, et l’on comprend soudain pourquoi les designers LEGO sont si respectés dans leur domaine. Chaque courbe doit être suggérée, chaque détail simplifié sans perdre son essence.

Ce type d’initiative rappelle pourquoi LEGO reste unique dans sa manière d’investir l’espace public : détourner un lieu, en subvertir l’usage, et proposer une expérience créative, collective et libre. Pas besoin d’écran, de manette ou d’application – seulement du plastique, un peu d’imagination, et beaucoup d’envie.

Dans un monde où tout se virtualise, où les simulateurs remplacent les vraies sensations et où la F1 elle-même devient de plus en plus artificielle, cette installation LEGO possède une authenticité déconcertante. Elle nous rappelle que le plaisir automobile, au final, c’est peut-être d’abord ça : la joie simple de construire, de créer, de partager. Et si c’est en plastique, dans un centre commercial, entre un H&M et un McDonald’s, et bien soit. Au moins, ça roule.

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